>Dit / Ecrit >Shitao & Rogers de Piles (extrait) , Hervé Fayel - J-P Bui-Van

 
 
ICI MÊME LE RÉEL feuillet n°7 Janvier 1995

"… Un tableau … est essentiellement d'abord une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées." (M. DENIS)

"Oui, mais au service de quelque chose."( A. MALRAUX)

Au service de quoi ? Peut-être de quelque chose qui excède les préoccupations d'un M. DENIS qui avant d'être un moderne nous montre qu'il est surtout un chrétien, et en cela par le choix de ses thèmes plus modernes du tout, si la modernité en peinture commence par l'autonomie du tableau.

Avant de faire des pommes, CEZANNE veut d'abord faire un tableau dans lequel toutes les composantes dialoguent au service de l'unité et c'est pour cela qu'à la fin en regardant son tableau, nous voyons plus qu'une nature morte.

Méfions-nous de voir entre MICHEL-ANGE et TITIEN, POUSSIN et RUBENS, INGRES et DELACROIX une querelle du dessin et de la couleur, entre l'Esprit et la Matière.
Parce que la modernité en les réconciliant nous a révélé aussi que loin d'être en opposition, l'Esprit et la Matière en peinture ne s'opposent pas mais se composent, que ce qu'il y a de profondément sacré dans la peinture c'est qu'elle est avant tout comme l'être humain un esprit qui incarne une matière. Maurice DENIS en se préoccupant d'adapter ses tableaux aux thèmes d'une religion plutôt qu'à son sentiment sacré de la vie et de la conscience qu'il en a, nous montre qu'avant d'être une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées ses tableaux sont d'abord des images religieuses.

Ne regardons pas 1905 comme l'année de " Baignade au Pardon de SAINTE-ANNE-LA-PALUD " mais comme celle de 'RUE à COLLIOURE de H. MATISSE et lorsque M. DENIS expose sa " Vasque de la Villa de MEDICIS ", BRAQUE termine " LA TABLE RONDE ".

J-P Bui-Van


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    Les décennies que nous vivons ressemblent à un jour gris pour la peinture. Un jour gris sur lequel glisse le flash d'une avant-garde, puis d'une autre. Faux soleil. Reflet qui poisse à la surface d'un paysage asphyxié.
L'avant-garde est cannibale. Chacun se nourrit de la précédente sans qui elle n'aurait pourtant pas pu exister n'ayant rien sur quoi prendre pied pour s'y opposer. Fuite en avant.
" A la fin tu es las de ce monde ancien. "dit l'Apollinaire. Aujourd'hui, nous sommes las de ce monde qui se veut si moderne, factice. Un monde où les artistes seraient réduits à entériner les prescriptions des avant-gardes (ou plutôt pseudo avant-gardes : le mot s'abolissant de lui-même lorsqu'il est utilisé de façon inflationniste.)
Et ces vagues successives d'avant-gardes suscitées par les marchands et l'institution culturelle (historiens, penseurs etc…) depuis que tant d'artistes ont accepté de chanter la chanson des autres et non plus la leur, ces vagues occupent tout l'espace.
C'est la logique du pouvoir.
Quel espace nous reste-t-il ?
Il n'y a pas de place pour nous.
Tout comme ces irlandais qui, se voyant refusé par les colonisateurs anglais un terrain sur leur sol pour se construire une église, fabriquaient des autels sur des charrettes et allaient célébrer leur culte au bord de l'océan sur l'espace de la plage découvert par la marée basse. Cet espace n'appartenant à personne était le seul dont on ne pouvait leur refuser la jouissance intermittente.

Ce terrain virtuel cette zone cadastrée, cet espace mi-terre mi-eau nous l'adoptons comme quartier général pour pratiquer cette chose - poésie ou peinture - si bien décrite par Roberto Juarroz : " Sans concentration, silence et solitude il ne peut pas y avoir de poésie. Rien n'exige une aussi grande fidélité, pas même l'amour et la religion. Tout cela néanmoins ne suffit pas : ces conditions sont externes. Il manque l'autre, la condition interne la culbute dedans vers l'inconnu, le non-évident ou l'ineffable ; la métamorphose radicale vers le centre de la réalité ; la consommation de quelque chose qui équivaut à un nouveau sacrement dans l'océan sans rivages des formes. "
Shi Tao & Roger de Piles a tenté de parler de ce quelque chose.
Aujourd'hui ce feuillet s'arrête, faute du nerf de la guerre, c'est à dire l'argent, faute de temps et aussi faute de combattants.
Nous faisons place au silence.

Un proverbe Chan dit : "Ce qui ne devient pas est à l'origine de ce qui devient."
"Celui qui ne marche pas au pas entend le son d'un autre tambour" dit un autre proverbe des indiens d'amérique du Nord.
Qui sait, une suite à Shi Tao & Roger de Piles pourrait, si vous l'augmentiez de vos mains de votre voix, s'animer au rythme de cet autre tambour

Hervé Fayel

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