BUI-VAN, propos recueillis
par Jean-Marie Juvin
Jean-Philippe Bui-Van exposait
tout récemment ses peintures à la galerie
" Le bleu du ciel ", rencontre avec un artiste
peintre qui s'impose en discrétion.
Plumart - Comment arrive-t-on à concilier
un espace qui est à la fois un appartement et un
atelier?
J-P Bui-Van - Il m'est arrivé d'alterner,
ressentant parfois le besoin d'être avec la peinture,
à d'autres moments de m'en éloigner. Dans
cet appartement c'est particulier, dans la mesure où
je peins ce que j'ai sous les yeux (les toits). Pouvoir
s'approcher des fenêtres, du motif, est appréciable,
et c'est encore accentué, valorisé par le
fait d'y vivre. Un regard très distrait permet
d'enregistrer beaucoup de choses. Lorsque tu te forces
à étudier le motif comme un travail tu en
loupes parfois l'accès. Pour moi c'est une façon
de vivre au milieu du motif, c'est aussi une manière
de régler un problème financier. Et même
si je voulais peindre ailleurs, je pourrais difficilement.
- Quelle est votre formation ?
- Les trois années d'art plastique et d'histoire
de l'art que j'ai effectuées au Lycée Ampère
sont très importantes, grâce à un
professeur extraordinaire. Ma formation concernant les
études, l'approche des uvres d'art
vient
de là. Elle est plus déterminante que l'école
des Beaux-Arts de Lyon qui n'est pas une référence,
je précise à l'époque où je
l'ai connue.
- Quelles sont les influences et
les références qui marquent votre peinture?
- Je crois qu'un peintre devient très personnel
lorsqu'il trouve son vocabulaire. Il s'agit d'un passage
à un vocabulaire, un domaine de formes, qui fait
qu'on en finit un peu avec les études. Pour certains
c'est également une voie pour désapprendre
ce qu'ils ont appris. A partir de ce moment, ce qui est
fait ressemble au peintre d'une certaine manière.
Alors je suis eurasien et cela me ressemble. Il y a des
aspects techniques, des choix plastiques - le fait de
laisser du support, qu'il s'agisse en plus de papier et
d'encres - qui font penser à la peinture chinoise
que j'aime bien. Mais c'est aussi penser comme une peinture
très occidentale : la fenêtre, le cadre qui
coupe les images, le choix des couleurs
C'est vrai
cependant que l'impression plastique générale
tend vers la Chine.
- Comment situez-vous la place
de l'image aujourd'hui ?
- Je ne pense pas que la peinture soit une image, elle
peut l'être secondairement mais elle est autre chose
qu'une image peinte. Elle n'est pas seulement la forme
et l'apparence. Je pense à la peinture et je ne
sais pas du tout ce qu'elle est ; la mienne oui, en affinité
avec d'autres peintres passés ou présents.
Cela reste un rapport au monde avant d'être un rapport
aux idées. Le fait plastique est une chose première,
même si il est étayé par toute une
réflexion. Je ne suis pas contre le discours, mais
il faut arriver à un fait plastique. C'est la grande
vérité de ce XXème siècle.
Lorsque tu vas au Musée, tu traverses l'Egypte,
la Grèce, la peinture du XIIIème, du XVIIIème
tu
peux toutes les apprécier. Ce qui est assez fou.
On est capable aujourd'hui d'apprécier une uvre
plastique indépendamment du discours qui l'a suscitée.
C'est une chose tellement évidente qu'on l'oublie.
Une uvre peut tenir le coup, y compris lorsque son
discours a disparu, c'est son fait plastique qui la tient.
Le discours on le sait aujourd'hui est ce qui reste le
moins, c'est pour cela que je trouve important d'arriver
à un fait plastique. Ce qui ne m'empêche
pas d'élaborer un discours important pour ma peinture.
- Qu'est-ce qui fait nécessité
aujourd'hui en peinture ?
- Je ne sais pas. Les peintres ont des démarches
très différentes. Je m'intéresse
à ceux qui défendent un objet plastique,
qui soit pensé, avec un vocabulaire. J'aime les
peintres qui ont une démarche éthique. Le
motif des toits pour moi est un choix qui me permet de
vraiment développer un vocabulaire. Les toits c'est
aussi la dernière trace de la présence humaine
dans un paysage, au dessus c'est le vide. Il s'agit de
l'interrogation d'être vivant face au monde, sans
y mettre de religion, c'est un peu cette place que je
tiens. Le ciel est vide, mais on y met de la peinture.
Je pense qu'on voit très bien lorsqu'on regarde
une peinture, ce à quoi pense le peintre. Ses facilités,
ses recherches. La plus importante étant la démarche
éthique, quelle place on occupe dans le rapport
au monde.
- Quelle place la peinture peut-elle
avoir aujourd'hui ?
- Il n'y a pas de médium qui en chasse un autre.
Les nouveaux média ne vont pas remplacer la peinture,
de la même façon qu'ils ne sont pas des sous
peintures. Le bon exemple est la photographie qui revendique
encore aujourd'hui la place de la peinture. On le sent
vraiment chez certains photographes qui rivalisent avec
cela, ils se trompent c'est un autre domaine. Lorsque
la photo est apparue on disait que la peinture allait
disparaître, cela n'a pas eu lieu. On s'est aperçu
avec la photographie que le domaine de la peinture n'était
plus la ressemblance. Avec les technologies nouvelles
on s'aperçoit que la peinture n'est pas l'image
mobile (les futuristes ont essayé cela). Elle n'est
pas là pour témoigner de son époque,
les reporters d'images le font beaucoup mieux. C'est étonnant
que la peinture revendique des choses auxquelles des spécialités
répondent déjà.
- Quelle importance accorder au
trait, à l'esquisse, à l'ébauche
dans ce qui caractérise la peinture ?
- Une matérialisation. Il ne faut pas accorder
à la peinture plus d'importance qu'elle n'en a.
C'est un domaine très circonscrit au niveau technique.
Actuellement je parle de peinture de façon très
classique, c'est un peu mon option. Je crois qu'aujourd'hui
nous sommes un peu dans la disposition du musée,
où toutes les uvres du passé sont
sur un même plan. De la même manière
nous disposons d'un grand nombre de techniques, et à
partir de là nous orientons nos choix. Cette liberté
de technique est très vaste, mais ce qui va faire
la valeur de l'homme c'est la manière dont il va
l'investir. Savoir si la photo est dépassée
ou si la peinture est meilleure, vraiment je ne sais pas.
L'important est d'arriver à un objet mouvant, qui
combine les deux disciplines, pourquoi pas
.avec
un morceau de cinéma, et une bande son qui passe.
- Vous avez récemment exposé
à la galerie Le Bleu du Ciel en compagnie d'un
photographe. Que retenez-vous de cette expérience
?
- C'était une exposition sous forme de dialogue.
Ce que je retiens
(silence), d'exposer à deux
comme cela
(silence), il m'est très difficile
de savoir dans quel domaine s'exerce la photographie.
C'est très étrange.
Dans ma peinture je fais référence à
un motif qui existe, la photo n'échappe pas au
motif, nous étions donc un peu sur le même
fréquence. Lorsque tu vois une photographie, il
arrive un moment où tu as envie d'être là
où était le photographe. Tu ne veux plus
être devant la photo. En peinture c'est différent.
Lorsque la peinture tient le coup, elle devient autre
chose que le motif, la photo je n'arrive pas à
savoir ce qu'elle devient. Une chose est certaine, toutes
les photos qui m'ont beaucoup plu, m'ont toujours donné
l'envie d'être là où se trouvait le
photographe. C'est très mystérieux pour
moi.
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